Le regard d’Éric Birlouez, agronome spécialisé en sociologie de l’alimentation

interview

Le regard d’Éric Birlouez, agronome spécialisé en sociologie de l’alimentation

interview

Ingénieur agronome (AgroParisTech), spécialiste de la sociologie de l’agriculture et de l’alimentation, Éric Birlouez intervient en tant que consultant, conférencier, formateur, enseignant, auteur… En 2014, il publiait d’ailleurs l’ouvrage Faut-il arrêter de manger de la viande ? (Le Muscadier). Voici quelques éléments de réponse…

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

La réponse est oui et non, car cela dépend de nombreuses considérations. Biologiquement, l’homme est omnivore : il a besoin d’un minimum d’aliments d’origine animale. Moralement, certains s’y refusent à cause de la souffrance infligée aux animaux… Mais on peut manger ceux-ci sans les élever cruellement, en les abattant dignement… Autrefois, on vivait avec eux et, donc, avec leur mort. Mais aujourd’hui, on constate un profond changement dans notre rapport à la mort, à la nature, aux animaux de compagnie. Ces derniers sont de plus en plus proches de nous, alors que les animaux sauvages et d’élevage ont peu à peu disparu de notre champ de vision. Et n’oublions pas que nous consommons de la viande depuis 2,8 millions d’années !

 

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ?

Oui, si cela consiste à manger de la viande en quantité raisonnable, en étant attentif à ses conditions de production, et si ce flexitarisme est adopté dans nos pays riches, qui en consomment suffisamment. En Afrique, en revanche, la population devrait doubler d’ici 30 ans et elle aura donc des besoins encore plus importants en protéines animales. Par ailleurs, l’élevage y constitue une précieuse source de revenus et d’engrais naturels ainsi qu’un outil de traction non dépendant du pétrole. Enfin, il faut relativiser l’impact négatif de la viande sur la santé : seul l’excès est à bannir. De même, l’empreinte environnementale dépend du type d’exploitation et l’arrêt des élevages qui valorisent l’herbe des prairies serait une mauvaise nouvelle pour la nature.

 

En Occident et, en particulier, en France, comment l’opinion a-t-elle évolué au cours des dernières décennies vis-à-vis de la consommation de viande ?

En France, la consommation de viande rouge décline depuis 1980 : c’est donc une tendance lourde, déjà ancienne. Lors des Trente Glorieuses, cet aliment s’est démocratisé et il a perdu son statut de signe extérieur de richesse et de marqueur social. Par ailleurs, nos emplois s’avérant moins physiques, nous n’avons plus les mêmes besoins énergétiques. D’autre part, la viande n’est pas très adaptée au snacking... Puis, à partir de la fin des années 1990, les crises alimentaires répétées ont engendré une défiance croissante, renforcée par l’essor d’Internet et des réseaux sociaux. La conscience environnementale et citoyenne s’est également développée. Et récemment, la question de la souffrance animale a été brutalement réactivée.

 

Comment expliquez-vous la montée en puissance du flexitarisme comme pratique alimentaire en Occident aujourd’hui ?

La consommation de viande se situe aujourd’hui au carrefour de nombreuses interrogations qui constituent une éthique de l’alimentation. Celle-ci s’appuie sur cinq « valeurs » : le corps et la santé, le bien-être animal, l’environnement, la solidarité avec ceux qui produisent ce que nous mangeons et, enfin, la transparence ou, plutôt, la sincérité de l’information. Les mangeurs veulent redonner du sens à leur alimentation, lui conférer une dimension politique au sens noble du terme. Ma conviction, c’est que le flexitarisme est l’avenir de la viande dans nos pays riches : nous pouvons concilier modération et qualité, en accord avec nos aspirations sociétales… comme certains le font déjà.

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