Le regard de Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture à l’INRAE

interview

Le regard de Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture à l’INRAE

interview

Exerçant à l’INRAE, spécialiste de l’alimentation des vaches laitières et des rapports entre élevage et environnement, il préside également l’Animal Task Force. Cette plate-forme, qui réunit une vingtaine de pays, prépare une étude prospective pour la Commission européenne sur la place de l’élevage dans l’agriculture de demain.

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

Oui, car les apports biologiques propres à la viande aident à rester en bonne santé. Par contre, on peut en consommer un peu moins : on recommande d’ingérer 50% de protéines animales et 50% d’origine végétale, mais l’Europe de l’Ouest se situe plutôt sur un ratio de 65/35. Cela étant, beaucoup de plats de notre patrimoine gastronomique associent les deux, comme le petit salé aux lentilles ou le cassoulet. Aussi, j’estime qu’on a le droit de manger la viande des animaux, s’ils sont élevés dans de bonnes conditions. Et puis, ils entretiennent nos paysages et il n’y aurait pas d’agriculture durable sans élevage.

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ? 

Nous sommes quasiment tous flexitariens, comme le montrent les dernières enquêtes du CREDOC, organisme de référence, qui analyse nos modes de consommation. D’ailleurs, cette tendance n’est ni nouvelle, ni aléatoire et, indépendamment des attaques dont la viande peut faire l’objet, il s’agit d’un vrai mouvement de fond. Si celui-ci a des origines variées, c’est plutôt une bonne nouvelle pour les éleveurs. En effet, consommer différemment implique de produire autrement, en mettant toujours plus en valeur des pratiques respectueuses d’un système tourné vers l’agroécologie. En l’occurrence, ce choix se traduit déjà dans les orientations que prennent les filières ou encore les États Généraux de l’Alimentation.

Comment expliquez-vous les critiques actuellement formulées à l’encontre de l’élevage ? Sont-elles justifiées, selon vous ?

Les détracteurs s’appuient sur des chiffres mal interprétés. Non, l’élevage n’émet pas autant de gaz à effet de serre que le secteur du transport, si on compare ce qui est comparable. De même, le volume d’eau nécessaire à la production de viande est très discutable. Quant aux terres agricoles dédiées à l’élevage, la majorité ne pourrait pas être utilisée pour les humains.
Enfin, l’élevage est écologiquement indispensable pour préserver la biodiversité, capter le CO2 ou filtrer l’eau. Et n’oublions pas les 800 000 emplois à la clé, qui occupent 3% de la population active française, tout en maintenant un tissu social dans les campagnes.

Des alternatives viables à l’élevage sont-elles possibles, voire souhaitables, pour nourrir 9 milliards d’êtres humains sur la planète ?

J’en doute. La production de viande artificielle n’est pas au point, coûterait cher énergétiquement, n’apporterait pas les mêmes nutriments et nécessite beaucoup de facteurs de croissance qui sont interdits en élevage. Quant aux substituts végétaux de la viande, ce sont des produits très transformés. Les insectes : il s’agirait d’une production industrielle avec un impact écologique et serait-ce vraiment à notre goût ? Chercher une alternative à la viande n’est pas la question. Certes, le Sud-Est asiatique peut réduire sa consommation (45% de la viande mondiale), mais pas les enfants africains anémiés. Il faut surtout trouver de nouveaux équilibres et favoriser un élevage, qui entretient le territoire et la production de viande comme de lait.

  • Pour aller plus loin…
    En janvier 2019, l’INRAE publiait un avis scientifique, assorti de nombreuses données chiffrées et d’analyses approfondies, intitulé « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ? ».

    Cliquer ici pour consulter l’avis de l’INRAE
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